L’objectif d’une théorie est de décrire et expliquer les événements observables et observés et de prédire ce qui sera observé dans certaines conditions spécifiques.
Les théories les plus diverses et variées servent d’explication et de justification à bon nombre de méthodes d’éducation canine voire même de modèles pour les relations humain/chien.
Il est temps de faire le tri et de séparer le vrai du faux, à commencer par la théorie et la croyance, à l’heure où on s’interroge sur l’existence d’une théorie de l’esprit chez le chien.
Une théorie doit répondre à certaines règles la validant :
→ Une théorie doit répondre à un haut degré de généralités, c’est à dire qu’elle doit être en mesure de rendre compte d’un grand nombre de phénomène et ne pas s’arrêter à quelques uns.
→ Une théorie doit être testable. Il s’agit d’une des caractéristique les plus importante d’une théorie scientifique. Elle doit reposer sur des observations relatives à la théorie (support empirique) et les mécanismes proposés par la théorie doivent être potentiellement observables ou mesurables (support logique).
→ Les propositions doivent être suffisamment précises pour permettre des prédictions. La validité externe d’une théorie est fonction de la qualité des prédictions qui en sont issues. Plus les prédictions d’une théorie sont précises, meilleure est la théorie.
→ Toute théorie repose sur un certain nombre de postulats de base et d’assertions. Une théorie A est meilleure qu’une théorie B, si la théorie A se fonde sur moins d’hypothèses non vérifiées que la théorie B.
→ De même, il s’agit de ne pas multiplier les mécanismes explicatifs pour expliquer les différents phénomènes.
En matière d’éducation canine, la première théorie qui nous intéresse est celle des apprentissages.
La théorie des apprentissages
Les apprentissages ont une valeur adaptative permettant soit d’anticiper une conséquence soit de permettre des comportements nouveaux et/ou plus complexes en vertu de l’environnement.
Les apprentissages peuvent être non associatifs ou associatifs.
Ils sont non associatifs quand un stimulus inconditionnel (c’est à dire un stimulus déclenchant naturellement un comportement réflexe ou inné appelé réponse inconditionnelle) produit une modification de la réponse inconditionnelle en augmentant l’apparition de cette réponse, c’est la sensibilisation, ou en diminuant l’apparition de cette réponse, c’est l’habituation.
Exemple : En temps normal, l’exposition à un bruit ordinaire ne provoque qu’une réponse réflexe ordinaire d’écoute. A force d’exposition à ce bruit ordinaire, un chien peut n’y prêter plus aucune attention: il y a habituation. Une exposition récurrente à ce même bruit ordinaire peut inversement provoquer une sur-réaction du chien (écoute + irritation) : il y a sensibilisation.
Ils sont associatifs quand une réponse conditionnelle apparaît après un stimulus conditionné (préalablement apparié avec un stimulus inconditionnel), c’est le conditionnement répondant ou pavlovien, ou quand une réponse conditionnelle précède un stimulus attractif ou punitif, c’est le conditionnement opérant ou skinnérien.
Exemple : Le clicker-trainig est un exemple de conditionnement tout d’abord pavlovien (appariement click et friandise) puis opérant (le comportement est suivi du click et de la friandise)
Conditionnement pavlovien et conditionnement opérant répondent aux exigences validant une théorie. Ils permettent de prédire avec précision les comportements qui seront observés dans des situations spécifiques. La théorie des apprentissages permet donc de comprendre comment émergent certains comportements et par quels biais il est possible d’interférer.
L’usage du conditionnement quel qu’il soit peut, par contre, être critiquable quand l’adaptation n’est plus l’objectif mais que c’est l’instrumentalisation des capacités et compétences qui prévaut. C’est une affaire de morale, d’éthique personnelle qui s’appuie elle aussi sur des théories.
En matière d’éducation canine et de relation humain/chien les autres théories qui nous intéressent sont celles tentant de rendre compte des motivations des comportements des chiens et des systèmes sous-jacents qui s’y rapportent.
Les théories rendant compte des motivations et des systèmes sous-jacents des comportements
L’éthologie n’est pas une théorie mais une discipline scientifique puisque l’éthologie se limite à observer et décrire les comportements essentiellement en milieu naturel afin d’établir un éthogramme, c’est à dire un registre des comportements naturels. Toutefois l’éthologie peut être utilisée pour expliquer les comportements. Dans ce cas elle donne lieu à des théories fonctionnelles.
Il en est de même pour la sociobiologie, ou écologie comportementale.
C’est très à la mode de se servir de l’éthologie pour justifier la pratique de certaines activités “supposées” combler les besoins comportementaux.
La psychologie cognitive et la neuro-éthologie sont d’autres disciplines scientifiques qui s’attachent elles à observer les aspects censés être sous-jacents aux comportements. Psychologie cognitive et neuro-éthologie donnent lieu à des théories plutôt structurelles.
Ces sciences ayant tendance à démontrer la richesse de la vie cognitive des chiens, elles sont préférentiellement occultées par les grands “théoriciens” de l’éducation canine.
Les deux approches, fonctionnelle ou structurelle, peuvent donner des explications concrètes et adéquates. Elles mettent l’accent sur différents aspects du développement. Mais pour quelqu’un qui veut connaître les changements dans les différentes structures cognitives au cours du développement, l’approche fonctionnelle sera inadéquate. De même que pour quelqu’un ne s’intéressant qu’à l’aspect des relations entre ce qui arrive à l’organisme (stimuli) et le comportement de l’organisme, les théories structurelles ne lui apporteront pas d’éclaircissements profitables. C’est d’ailleurs à l’origine d’une opposition entre les approches, l’une reprochant à l’autre la difficulté d’observation des processus sous-comportementaux (approches d’inspiration behaviouriste) et l’autre reprochant à l’une la non prise en compte de ces même processus sous-comportementaux (approches d’inspiration cognitiviste).
Pour autant qu’elles soient structurelles ou fonctionnelles, les théories ne peuvent se contredire entre elles. Si c’est le cas la plus valide invalide la moins valide.
⇒ Lorsque l’on confronte la “théorie” du besoin d’activités sportives et les théories de l’écologie comportementale, il y a conflit et contradiction.
⇒ Lorsque l’on confronte la “théorie” de la quête du plaisir à la théorie de l’homéostasie émotionnelle, il y a conflit et contradiction.
⇒ Lorsque l’on confronte les méthodes de conditionnement behaviouristes et les théories aussi bien structurelles que fonctionnelles du développement cognitif, il y a conflit sur le plan éthique, un conflit du même ordre que celui qui oppose les adeptes de l’adaptation forcée des autistes à la société (méthode ABA) et ceux d’approches plus holistiques et plus respectueuses de la personnalité, de l’intentionnalité et de l’émotionnel du sujet.
Malgré leur très récent développement, neuro-éthologie (approche structurelle) et écologie comportementale (approche fonctionnelle), auxquelles on peut ajouter la théorie de l’Umwelt, permettent d’appréhender le monde des animaux sous un jour nouveau… et d’invalider certaines vieilles théories.
A une époque lointaine on pensait que la Terre était plate. A une époque relativement proche on pensait que le chien n’était qu’un loup civilisé respectant des règles sociales hiérarchiques et des règles comportementales égocentrées émanant de son seul cerveau archaïque (manger, ne pas être mangé, se reproduire). A une époque encore actuelle, certains pensent que sa race le prédestine à la pratique de certaines activités plus que d’autres bien que cette idée ne remplisse pas les exigences qui en font une théorie valide.
Une idée non vérifiée n’est pas une théorie, au mieux était-elle est une hypothèse.
Une idée contredite par des résultats d’expériences n’est pas une théorie, elle reste une idée, et une idée plutôt fausse, voire une croyance si elle oriente nos décisions malgré son absence de validation.
Une théorie, même validée par le passé, se heurtant à une ou plusieurs autres théories plus récentes et meilleures devient une croyance si elle perdure malgré l’invalidation.
Les fameuses “théories” de la dominance et de l’égocentrisme comportemental
Nous n’allons pas en faire la critique ici mais nous vous invitions à le faire à l’aide de ce que l’on sait assurément de nos compagnons canins (cf les références en bas d’article) grâce à l’éthologie, la psychologie cognitive, l’écologie comportementale, la neuro-éthologie … ayant permis d’élaborer quelques théories fonctionnelles ou structurelles validées
• sur leur comportements sociaux et notamment sur leur communication d’évitement des conflits
• sur leurs émotions, leur empathie et leur attachement
• sur leur intelligence
Tout ceci à l’heure actuelle amène les scientifiques a se poser la question de l’existence d’une théorie de l’esprit chez le chien.
On est loin, très loin de la considération rétrograde des adeptes de ces croyances et pourtant elles perdurent et sont même enseignées (comme en témoigne le croquis ci dessus extrait d’une formation de comportementalisme !).
La cynophilie et la cynologie reposent davantage sur des idées que sur des théories en l’état actuel des connaissances. C’est indéniablement un des frein “technique” à la disparition des idées fausses et des croyances qui bénéficient par ailleurs d’un certain vide médiatique et de l’absence de figures de proue engagées dans la vulgarisation des découvertes scientifiques.
Les 2 autres freins principaux à l’abandon des croyances
1/ Les prérogatives qu’elles confèrent à ceux qui y adhèrent
Abandonner une croyance qui confère des prérogatives demande d’en passer par le deuil de ces prérogatives donc d’admettre qu’il y a des avantages à perdre.
→ Mais les avantages en sont-ils vraiment ? S’inscrire dans une relation basée sur la hiérarchie alors que ce n’est pas dans la nature des chiens donne t’il réellement le pouvoir d’influencer les décisions et le contrôle des comportements ou seulement l’illusion de ceux-ci ? Ce rapport de force contribue t’il réellement à la solidité du lien et à la collaboration ou lui nuit t’il ?
2/ La perte de repères que provoquerait leur abandon pour ceux qui y adhérent
Abandonner une croyance servant de base, de règle à bons nombre de nos comportements perturbe l’équilibre et oblige à restructurer sa pensée, un travail pouvant s’avérer complexe, pour ne pas dire décourageant, pour qui ne lit pas couramment la langue philosophique ou scientifique.
→ Nous ne sommes pas dans le cas de figure d’un démarrage à zéro ; le chien nous est connu au moins pour sa grande amabilité vis à vis de l’humain. Il est désormais admis qu’il est “comparable” sur le plan émotionnel et intellectuel à un enfant ce qui peut aider à établir de nouvelles bases relationnelles et à se positionner non plus comme un maître absolu mais davantage comme un accompagnateur qui favorise l’éveil. L’empathie est l’allié du propriétaire d’un chien et un brin d’anthropomorphisme ne nuit pas quand il s’agit de considération et d’accès au bien-être. Il n’est certes donné qu’à certains d’entrer dans le monde (Umwelt) d’un autre mais admettre que cet autre ait sa propre représentation de lui et des autres, ses propres perceptions et motivations, sa propre sensibilité, ses propres références spacio-temporelles, etc. permet d’éviter les interprétations de comportements selon le modèle humain.
Les théories sont toutes nées d’une tentative de s’expliquer ou d’expliquer les choses mais elles se différencient des idées et des croyances par leur validité établie, vérifiée et non contredite par de meilleures théories.
Les théories n’offrent pas la certitude d’être totalement dans le vrai mais elles offrent au moins la certitude d’être moins dans l’hypothèse, l’interprétation, l’extrapolation ou dans le faux. Certains faux sont désormais établis et ne survivent que grâce aux résistances de la pensée humaine.
Au fil des questionnements, des réflexions, des études et de l’évolution des techniques d’observation et d’analyse des résultats, tandis que les croyances se défendent de leur obsolescence, les théories, elles, évoluent, s’améliorent et augmentent notre compréhension de la Vie non pour la maitriser mais pour la respecter dans son expression infiniment variée.
Reste à les mettre en application sur les terrains mais ça, c’est un autre débat.
Références :
- Thèse pour le doctorat vétérinaire de Sophie Escudeiro, 2015
- Rapport printemps 2016 One Voice : une vraie vie de chien (nombreuse références scientifiques)
- Conditionnement, apprentissage et comportement humain, Céline Clément
- L’animal est-il une personne ? Yves Christen, 2011
- Dans la peau d’un chien, Alexandra Horowitz, 2009
- L’intelligence de l’animal, Jacques Vauclair, 2017
- Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux, Frans de Wall, 2016
- Mémoire de singes et paroles d’homme, Boris Cyrulnik, 2016
- Milieu animal et milieu humain, Jakob von Uexküll, traduit et paru en français en 2010
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