Au delà du gîte et du couvert
Bien-être et bientraitance sont des notions qui peuvent paraître floues de prime abord, pourtant elles ont été définies et font même l’objet d’une législation française et européenne.
Petit rappel des définitions en vigueur du bien-être et de la bientraitance
Le bien–être d’un animal est considéré comme satisfaisant si les critères suivants sont réunis : bon état de santé, confort suffisant, bon état nutritionnel, sécurité, possibilité d’expression du comportement naturel, absence de souffrances telles que douleur, peur ou détresse. (voir ici)
Selon Claude L. Milhaud, « la bientraitance, traduction du mot anglais welfare constitue, pour une société donnée, en la formalisation morale ou règlementaire, d’une volonté visant à satisfaire les besoins physiologiques et comportementaux propres à chaque espèce et à chacun de leurs milieux de vie, dans le but d’atteindre, chez l’animal, un état imaginé comme comparable à l’état de bien-être chez l’homme. (voir ici)
Le bien-être, à ne pas confondre avec un état de béatitude, découle donc de la bientraitance car nos compagnons de vie sont vulnérables totalement dépendants de nous.
Pour beaucoup de propriétaires (bien intentionnés sans aucun doute mais insuffisamment informés), veiller à la bonne santé et satisfaire les besoins physiologiques par l’apport d’une alimentation correcte, d’eau, d’un couchage à l’abri des intempéries et de la possibilité de se soulager et de se dégourdir les pattes constitue l’essentiel des mesures de bientraitance. En contre partie de quoi, le chien est sensé être heureux.
C’est négliger sa nature, ses besoins comportementaux, et ses émotions !
La Bientraitance consiste à satisfaire autant les besoins physiologiques et de sécurité que les besoins comportementaux avec le bien-être pour objectif, c’est à dire l’absence de douleurs, de souffrances, de peur et de frustrations pathogènes.
1 – Bien traiter, c’est veiller en permanence sur l’état émotionnel
Il est désormais établi et reconnu que le chien, et donc à fortiori le Berger Allemand que nous prenons pour exemple puisque nous élevons des bergers allemands, est un être sensible et doué d’émotions.
Son bien-être psychologique – pour le distinguer du bien-être physiologique qui est assuré par les soins et l’accès au confort – consiste donc à être dans un état émotionnel relativement stable et à minima négatif en termes de répercussions sur son état physique.
La peur est une émotion bien connue ; la joie, la surprise, la colère ou la tristesse (pour se limiter aux émotions de base) également.
Toute la difficulté réside dans le fait de percevoir ces émotions, de les reconnaître sans se méprendre et de les situer dans le contexte qui les a provoqué.
Les émotions ont une particularité : elles se communiquent ! C’est un phénomène bien connu qui, par exemple, s’observe lorsque la détresse d’un ami vous fait monter les larmes aux yeux ou lorsque la panique s’empare d’une foule. Cette contagion repose sur l’empathie une capacité qui peut aider justement à les identifier.
| Sans empathie, point de bientraitance |
Dans quelles circonstances les émotions peuvent envahir nos compagnons ?
La Peur soudaine, cette émotion majeure, est observable chez nos compagnons.
Elle va induire une modification de toute l’attitude. Pour citer les principales modifications, on pourra constater que le regard laisse apparaître le blanc de l’œil, les pavillons des oreilles sont tournés vers les extérieurs, voire plaquées sur le crâne, la queue est rentrée sous le ventre, le corps est contracté prêt à fuir ou à se défendre selon les possibilités.
Il existe une seconde peur, c’est la peur par anticipation, extrapolation.
Le souvenir d’un précédent désagréable fait appréhender toute situation proche contextuellement parlant. Selon la sensibilité de la personne canine, selon son vécu et la récurrence des situations ayant provoqué de la peur, il est devenu méfiant ou profondément anxieux. Il est alors qualifié de peureux ce qui constitue une véritable souffrance.
S’il n’est pas toujours possible d’éviter la survenue de la Peur soudaine, il est par contre de la responsabilité des propriétaires de prendre en considération la sensibilité de leur compagnon lorsqu’ils les exposent à des situations potentiellement angoissantes.
Et dans le cas où, malgré toutes les précautions prises, le chien est apeuré, il est de leur devoir de le rassurer et de le sécuriser puis de tenter de le désensibiliser à ce qui l’effraie. Cela entre dans le cadre de la bientraitance.
Bien que non considéré par les textes mais tout aussi important, l’évitement de la tristesse et de la colère chroniques doivent faire l’objet des mêmes mesures.
La tristesse chronique, ou dépression, s’installe lorsque le manque est la sensation prioritairement ressentie.
Tous les chiens ne sont pas égaux face au manque. Certains vont trouver dans des objets ou des activités de substitution de quoi compenser ; d’autres vont se résigner et sombrer dans une forme de léthargie partielle ou totale (confondue parfois avec le calme). C’est d’autant plus vrai s’ils n’ont aucun contrôle sur leur environnement ou sont privés perpétuellement de choix.
Une nouvelle fois, il n’est pas toujours possible de préserver son compagnon de la perte soudaine d’un être d’attachement ou de la possibilité de pratiquer son activité de prédilection mais il est de la responsabilité des propriétaires de veiller à ce que les frustrations diverses ne soient pas le quotidien du chien, notamment au niveau de ses besoins comportementaux qui seront détaillés plus loin.
Il en va de même pour la colère chronique, appelée agressivité.
L’agressivité s’installe lorsque le chien a subi des agressions réelles ou ressenties comme telles, à plusieurs reprises, ou lors d’une situation particulièrement impressionnante. A cette(ces) occasion(s), se mettre en colère lui a permit d’évacuer la tension, peut être même d’éloigner l’agresseur/l’agression et donc de revenir à une situation moins désagréable émotionnellement parlant. Car il ne faut jamais oublier qu’une émotion provoque un tsunami mental et physique perçu comme une véritable douleur intérieure lorsque l’émotion est “négative”.
Fondée sur la peur – pour sa vie – l’agressivité n’est ni plus, ni moins qu’un moyen de se libérer d’une tension. Il est donc de la responsabilité des propriétaires de cerner ce qui met le chien dans cet état puis de travailler sur la diminution de la peur.
Les chiens ne sont pas agressifs par nature ou choix, ils sont juste plus ou moins réactifs avec des prédispositions à la fuite chez certains et des prédispositions à faire fuir chez d’autres, mais toujours à fuir ou à faire fuir ce qui les agresse.
Ce dont il faut se souvenir en matière d’émotions, c’est que :
Les fréquentes ou importantes variations de l’état émotionnel affectent les comportements et le métabolisme
2 – Bien traiter, c’est veiller à la satisfaction de ses besoins comportementaux
Pour en venir enfin aux besoins comportementaux, dont la satisfaction est une nécessité absolue, ils sont de plusieurs types mais pour faire simple, nous n’en retiendront que 3 :
→ les besoins sociaux incluant les besoins d’attachement chez le chiot et les besoins affectifs
→ les besoins exploratoires
→ et les besoins liés à la nature de prédateur de nos chiens, qui chez le Berger Allemand, comme chez toutes les races bergères, sont omniprésents.
La plupart des autres besoins dérivent de ceux-ci et permettent de satisfaire les besoins de dépenses énergétiques et les besoins de développement cognitif qui mériteraient qu’on leur consacre une page à eux seuls.
Petite parenthèse à propos des besoins de développement cognitif : Ces besoins là sont la plupart du temps occultés et même niés aux chiens et aux animaux en général comme si seule l’espèce humaine avait besoin de développer ses capacités d’analyse et de réflexion, ses compétences de technicien et de stratège, bref sa conscience du monde, de lui même et son intelligence. Or les besoins de développement cognitif sont le moteur des apprentissages. Les chiens n’apprennent pas pour apprendre. Ils apprennent pour devenir de meilleure version d’eux-même, des versions adaptées le plus possible à leur environnement et armés pour y vivre mais également des versions plus épanouies et heureuses.
Les besoins comportementaux se satisfont au travers des activités en veillant à ne pas privilégier un type d’activité au détriment d’un autre.
Les besoins sociaux et notamment celui d’être membre d’une famille
Les chiens sont, et ce n’est pas assez pris en compte, une espèce grégaire. Une espèce grégaire est une espèce qui a besoin de vivre en groupe.
L’isolement, la solitude est une souffrance. J’aime à parler de groupe familial car nos compagnons font – normalement – partie de notre famille. Leur socialité descend de la socialité d’un ancêtre commun avec le loup dont les meutes ressemblent à s’y méprendre à de véritables familles de sang ou d’affinités où s’appliquent toutes les règles de la vie de famille : protection, collaboration, responsabilités partagées et affection.
Comme toutes les espèces grégaires, dont l’humain fait partie, les chiens ont des besoins de contacts sociaux durant lesquels ils communiquent, interagissent entre eux (ce qui tisse et consolide leur lien), se témoignent de l’affection et … parfois entrent en compétition en fonction des besoins individuels et des situations.
S’il n’existe pas de hiérarchie établie définitivement il peut en exister une de circonstances dont l’expression varie grandement mais dont le but est toujours la survie individuelle au sein du groupe familial (quand la survie n’est pas en danger, pas de compétition).
Ainsi on peut observer une chienne prendre littéralement l’ascendant sur une autre parce qu’elle a des besoins alimentaires majeurs liés à sa gestation (et l’autre d’ailleurs n’y opposer aucune résistance). On peut également observer deux mâles jouer ensemble en l’absence de chienne en chaleurs dans les parages.
Transposé à la relation humain/chien, cela met sérieusement à mal le mythe de la dominance tout simplement car il n’y aucune concurrence possible entre humain et chien, aucune problématique de ressources vitales entre eux ! Le chien sait parfaitement, lui, que certains combats sont sans objet. Avec ses humains il n’envisage que protection, collaboration, partage des responsabilités et affection comme cela est de rigueur au sein d’une famille.
Cesser de prêter des intentions humaines à nos compagnons canins, et notamment des velléités de pouvoir, entre dans le cadre de la bientraitance puisque l’inverse est, à ce jour, ce qui provoque et justifie la maltraitance.
Bien traiter ne s’arrête pas là. Il est nécessaire aussi de mettre en place une communication et des interactions qui ne compromettent pas le bien-être.
Humains et chiens ne parlent pas la même langue à l’origine mais cela n’interdit pas de l’apprendre ! Sachant que la communication est encore ce qui se fait de mieux pour transmettre un message, se mettre à l’écoute de la “parole” canine et s’exprimer de manière à être compris est une démarche qui entre dans le cadre de la bientraitance, comme celle d’interagir pour apporter des plaisirs, des satisfactions et de la joie qui soudent les membres d’une famille entre eux.
Le besoin de découvrir et d’analyser le monde à travers ses sens de prédilection
Parmi les plus grandes injustices que l’on peut faire subir aux chiens – outre la violence gratuite ou la violence pour soumettre – il en est une d’une triste banalité : c’est l’interdiction d’exprimer ses besoins exploratoires.
Alors, certes, tous les chiens n’ont pas les mêmes besoins, certains se contentent de peu soit qu’ils ont passé l’âge (les besoins exploratoires sont extrêmement importants dans le jeune âge, moindres en vieillissant), soit que leurs autres besoins, sociaux et liés à leur nature de prédateur, les comblent, soit qu’ils ont la chance de vivre dans un environnement riche qui suffit à les occuper, mais se contenter d’offrir un jardin à son chien, et à fortiori à un Berger Allemand, est assimilable à de l’emprisonnement.
Les activités exploratoires sont fondamentales Elles mobilisent tous les sens, procure de la dépense énergétique, font marcher tête et muscles (énormément la tête d’ailleurs), améliore l’aisance (donc font diminuer la peur), contribuent à réguler les humeurs et – quand elles sont partagées – soudent les liens sociaux.
Donner des occasions d’explorer un environnement vaste et varié entre dans le cadre de la bientraitance qui est due à un chien, et particulièrement à un Berger Allemand, une race sélectionnée sur sa sensibilité aux stimuli environnementaux.
Le besoin d’exprimer ses instincts de chasseur quand ils sont prédominants
J’en finirai avec ce qui m’apparaît comme la cause de troubles du comportement la plus complexe à gérer et solutionner et la plus sujette à controverse : l’impossibilité d’exprimer ses besoins liés à sa nature de prédateur pour les chiens ayant fait l’objet d’une sélection et/ou d’une activation de ces instincts.
Et dans ce domaine j’ai des exemples en pagaille, des exemples heureux et d’autres dramatiques s’étant soldés par des abandons. Il me revient à l’esprit l’histoire de cette petite femelle de quelques mois dont l’instinct de poursuite et de saisie étaient exacerbés mais qui n’avait pas le droit de quitter le pied de sa maîtresse, même pas celui de courir après une balle pour rediriger tout ça sur quelque chose d’acceptable ; elle a finit par s’en prendre au petit chien de la maison dont le comportement – fuite et cris – l’a mû en proie de substitution ; cette jeune chienne a perdu ce jour là sa place dans cette famille et pourtant il n’y avait rien d’anormal dans son comportement, il n’y avait que des pulsions prédatrices, des circonstances favorables à ce qu’elles s’éveillent et un total déni de ses maîtres à considérer le chien sous cet aspect là.
Considérer la nature prédatrice d’un chien, surtout s’il est de race bergère ou de chasse sachant que la séquence de prédation a fait l’objet d’une sélection à vocation utilitaire, et prendre toutes les dispositions pour que celle-ci puisse s’exprimer sous contrôle dans des activités de substitution entre dans le cadre de la bientraitance.
A l’inverse la nier et par conséquence la frustrer occasionne des dégâts au niveau du psychisme ou provoque des accidents lorsqu’une opportunité permet de l’assouvir, de même que la stimuler et l’encourager à outrance peut créer des addictions avec toutes les conséquences qu’on leur connait, et qui relèguent les autres besoins au second plan, ce qui n’est guère davantage bien traitant.
Dans tous les cas, le chien est une victime alors qu’il est assez simple de lui permettre, s’il en exprime un irrépréhensible besoin, de poursuivre et saisir au travers de nombreuses disciplines sportives. S’il n’est nullement question de sélectionner des chiens avec de telles prédispositions chez nous, et encore moins conseillé d’activer ces prédispositions tant elles sont incompatibles avec l’intégration dans nos sociétés intolérantes, il n’en reste pas moins que lorsqu’elles existent, lorsqu’elles cherchent à se manifester dès le plus jeune âge sur tout ce qui bouge, il est du devoir des propriétaires d’en tenir compte et de les encadrer.
Ce dont il faut se souvenir, c’est que :
L’insatisfaction des besoins comportementaux canins affecte l’état émotionnel et le métabolisme
3 – Bien traiter, c’est veiller à la satisfaction des besoins physiologiques
Les besoins physiologiques se satisfont au travers des activités alimentaires, d’élimination, de repos et des activités permettant la dépense énergétique pour ne citer que les plus importantes. Il s’agit pour le chien de maintenir son homéostasie, c’est à dire ses différents équilibres internes.
Parmi les besoins physiologiques on citera évidemment l’alimentation qui doit être adaptée (et non l’inverse, un chien qui s’adapte à l’alimentation), l’eau qui doit toujours être à disposition, la qualité du lieu de repos qui doit être confortable, apaisant et permettre la régulation thermique, la possibilité de faire ses besoins autant que nécessaire.
On citera aussi les activités – encore elles – qui doivent permettre d’entretenir le bon fonctionnement du corps (activités physiques) et de l’esprit (activités cognitives) et de dépenser l’énergie d’une part mais aussi de la reconstituer d’autre part ce qui implique une juste répartition entre activités énergivores et activités relaxantes.
Car, une nouvelle fois, ce dont il faut se souvenir, c’est que :
L’insatisfaction des besoins physiologiques affecte l’état émotionnel et les comportements
Tout ceci est résumé dans l’infographie qui suit.
En conclusion
Bien-être et bientraitance sont une affaire de connaissances, de considération, de compréhension et de moyens mis en œuvre.
→ Connaissance de la psychologie du chien et de certaines caractéristiques liées aux races.
Le chien est une espèce grégaire ; le berger allemand pour reprendre l’exemple de cette race, est une race hyper grégaire, sujet à l’hyper attachement.
Le chien est une espèce prédatrice ; le berger allemand peut être fortement animé par le besoin de poursuivre et de saisir.
Le chien est une espèce territoriale ; le berger allemand a été sélectionné sur ses capacités à surveiller et à défendre sa famille et son territoire.
→ Connaissance de sa physiologie et de certaines caractéristiques liées aux races.
Le chien est un carnivore opportuniste se satisfaisant assez peu selon les races (et le nombre de réplique du gène amyb2 codant la production d’amylase) d’une alimentation d’omnivore.
Le chien peut être de différente taille ce qui impactera la rapidité de sa croissance, de différents rapport poids/taille ce qui impactera son appareil ostéo-articulaire, de différents poils, de différentes couleurs etc. etc. ; le berger allemand est un grand chien (donc croissance en conséquence), peu tolérant, voire intolérant vis à vis des régimes alimentaires inadaptés, plutôt rustique et athlétique.
→ Considération de son état émotionnel et compréhension des déclencheurs et motivations de ses comportements.
Le chien est un animal sensible et sentient devant relever le défi de s’adapter à un environnement non naturel, restrictif, souvent stressant, et à la compagnie d’une espèce dont il dépend entièrement sur le plan de l’accès aux ressources, l’espèce humaine, dont la psychologie donne lieu à des comportements pouvant affecter parfois grandement le relationnel avec son compagnon ; le berger allemand est une race sélectionnée pour sa facilité à se mettre à l’écoute d’un guide et à effectuer les tâches qui lui sont confiées ce qui en fait un chien qui agit conformément aux attentes de son propriétaire que ces attentes soient clairement exprimées ou seulement “mentalisées”.
Cela donne en matière de bien-être et de bientraitance des obligations et des conditions à respecter pour celui/celle qui veut s’accompagner d’un chien et spécifiquement d’un berger allemand.
Cela donne :
Un Berger Allemand n’atteint le bien-être que s’il est intégré à la famille, respecter comme un membre, traiter avec égard,
s’il a accès à des activités exploratoires (balades obligatoires) et des activités de substitution à ses instincts de prédateur (+/- selon les individus, sports canins conseillés).
Le socialiser, le familiariser à son environnement et l’éduquer à adopter des comportements acceptables, notamment vis à vis de ses congénères, entre dans le cadre de la bientraitance car il est bien une chose qu’on pourrait lui reprocher, c’est d’être tellement attaché à sa “meute” qu’il peut ne vivre que pour elle et à travers elle dans une relation d’exclusivité.