j’ai longtemps fait l’éloge du mordant sportif comme activité de substitution permettant de combler les besoins comportementaux des chiens, notamment de poursuite et de saisie car ayant des chiens très animés par ces besoins il était salvateur pour leur équilibre de pouvoir leur offrir des occasions de se défouler. D’ailleurs je continue de considérer le mordant sportif comme une activité contribuant à la satisfaction des besoins comportementaux sous certaines conditions.
MAIS, car il y a un mais, il y a une différence entre pratiquer dans ce but et sélectionner en amont dans ce but, sélectionner pour faire naître des chiens qui devront avoir accès à ces sports pour être bien dans leurs poils.
Il y a aussi une grande différence entre contribuer au bien-être de l’animal et satisfaire dans la réalité ses propres désirs de contrôle et de toute puissance.
Petit topo sur les sports canins avec mordant
Beaucoup sans le savoir pratique le mordant sportif lorsqu’il s’amuse de voir leur bébé poilu attraper le balai ou le linge qui flotte au vent. Dans des disciplines aussi populaires que l’agility il n’est pas rare de voir le conducteur motiver et récompenser avec un boudin et que dire du jeu à corde à tirer que pratiquent presque tous les propriétaires. Dans ces contextes de la vie quotidienne ou dans le cadre d’activités bien vues par le public étonnamment le mordant n’apparaît pas comme dangereux et d’ailleurs il ne l’est pas vraiment tant qu’il n’est pas stimulé à outrance.
Sans entrer dans le détail des différentes disciplines, les sports canins avec mordant ont en commun d’autoriser la morsure sur une personne équipée de protections. Au travers d’exercices variés, le chien est évalué sur son agilité, sa pugnacité et son obéissance aux ordres de cessation.
Ces sports peuvent être qualifiés de relativement complets et sont le moyen d’offrir de la dépense énergétique tout en comblant des besoins fondamentaux puisqu’ils reposent sur l’instinct de prédation (quête, poursuite et saisie de la proie) et accessoirement sur l’instinct de protection de son butin (le butin étant la “toile” que l’on dispute à son partenaire en l’occurrence l’homme d’attaque) et font appel – mais dans une moindre mesure tout de même puisqu’il y a “mécanisation” – aux capacités cognitives, le tout partagé avec le maître qui est le guide, l’instructeur au cours des exercices. Sur le papier il n’y a donc QUE des avantages à pratiquer le mordant sportif avec un chien animé par un fort instinct de prédation, un certain instinct de protection et le désir de faire équipe avec son maître.
A cela s’joute que ses défenseurs présentent la pratique d’un sport canin avec mordant comme un moyen de codifier et de contrôler l’usage de la morsure.
Sauf que ….
La morsure est et restera toujours un recours possible dans certaines circonstances (à travailler par ailleurs pour en diminuer la liste).
Et il y a une différence notable entre avoir recours à la morsure pour se défendre ou protéger et avoir recours à la morsure sur commande pour attraper et tuer une proie de substitution.
C’est la première chose à ne pas perdre de vue car c’est bien ce type de morsure qui est essentiellement exploité durant la pratique du mordant même sportif.
Ce qu’il faudrait cesser d’oublier
La morsure de prédation a fait l’objet d’un travail d’inhibition par des générations d’éleveurs de chiens de berger.
Pourquoi ? Parce que le travail de chien de berger repose sur l’instinct de prédation (encerclement, conduite) et qu’il aurait été “gênant” que cela se termine par la morsure du bétail.
La génération actuelle d’éleveurs renie et foule du pied tout ce travail sans se poser de questions au niveau des conséquences sur les prédispositions comportementales qu’une sélection inverse engendre :
1/ le berger allemand n’est plus naturellement apte au travail sur troupeau. Il n’a plus rien d’un berger !
2/ le berger allemand n’a pas le droit de mordre qui ou quoi que ce soit ce qui pose la question des méthodes employées pour interdire la morsure désormais redevenue naturelle lors d’un travail basé sur l’instinct de prédation.
3/ la majorité des chiots rejoint des familles qui n’ont ni l’envie, ni les compétences, ni même l’accès à des structures permettant de pratiquer le mordant sportif.
Certes la pratique du mordant permet de rediriger le besoin de poursuivre et de saisir à tout va, quand il existe et obnubile le chien, vers un objet acceptable qui petit à petit efface les autres possibilités mais est-il bien nécessaire et même raisonnable au nom de l’amélioration de la race de rechercher cela et d’en faire des critères de jugement de la valeur d’un reproducteur quand on sait ce qui est jeu au niveau génétique ?
La pratique du mordant sportif comme activité permettant de combler les besoins canins ça se discute déjà.
La pratique du mordant sportif comme moyen de valorisation des reproducteurs ça se discute encore plus ! il faudrait vraiment cesser de faire abstraction du fait que la séquence de prédation, cible de la sélection et outil avec lequel on travaille le mordant, est une combinaison de pattern moteur ayant pour support des gènes codant l’expression de chaque phase en termes de précocité, de fréquence et d’intensité.
Il faudrait également cesser de faire abstraction du fait que la morsure, en tant que pattern moteur, est en oeuvre dans d’autres séquences comportementales notamment durant les interactions sociales ou lors des compétitions pour une ressource donc que la modification de l’expression de la morsure impactera aussi les autres comportements où elle est susceptible d’être utilisée.
Citons les signaux de distancement où la morsure arrive en dernier lieu après les autres tentatives et est sensée être progressive à condition bien sûr que la morsure n’ait pas été sélectionnée pour être fréquente, précoce et intense.
Adieu alors la progressivité ! Adieu aussi les autres alternatives comme l’évitement ou tout simplement l’abandon du “combat” ! Des familles se retrouvent avec des chiens ayant besoin de mordre, ayant les plus grandes difficultés à contrôler l’intensité de leur morsure, et pire, ayant recours à la morsure comme solution de prédilection pour gérer leur stress ou décharger leur frustration.
Et ce n’est pas tout
Une seconde chose à ne pas perdre de vue est que la morsure de prédation et secondairement de protection est autorisée sur l’Homme dans les sports canins avec mordant.
Certes l’Homme est protégé par des protection et le chien conditionné à ne saisir que ces protections, les véritables proies de substitution (du moins ça, c’est ce dont on veut se convaincre car sous la toile il y a un bras ou une jambe et il faudrait arrêter de prendre les chiens pour des idiots), proies qui prennent vie grâce à l’Homme devenant pour le coup un partenaire de “jeu”.
Si l’idée est de jouer avec le chien, pourquoi s’habiller en proie ? un boudin au bout d’une corde ferait aussi bien l’affaire !
Là c’est celle qui a porté la toile qui va vous répondre. Porter la toile c’est se mesurer au chien, mettre en scène une confrontation d’où nous sortirons toujours plus fort déjà parce que nous ne ressentons pas vraiment la morsure et parce que le maître viendra y mettre un terme afin de priver le chien de la victoire. Porter la toile est une façon de faire taire sa peur du prédateur et une occasion de vaincre un animal armé d’une redoutable mâchoire qui devrait nous faire réfléchir. Porter la toile flatte l’égo et permet l’expression de sa propre combativité et de son désir de toute puissance en toute légitimité et en toute sécurité. Cela altère considérablement le jugement lorsqu’il est question d’interagir avec un chien, de se mettre à l’écoute de ses signaux de distancement par exemple. Cela installe dans la croyance de sa supériorité.
Le mordant sportif est-il si avantageux finalement ?
Quand on fait le bilan c’est loin d’être sûr.
Au delà de la problématique du mordant sportif comme simple activité, qui reste au final la seule bonne raison d’exister du mordant sportif, à condition bien sûr de pratiquer dans le respect du chien
au delà de la problématique du mordant comme outil de sélection en vertu de ce qui est en jeu sur le plan génétique mais également sur le plan physiologique avec les risque de dérèglement des systèmes d’auto-contrôle,
la question de la pratique du mordant sportif se pose aussi au niveau des motivations humaines et des effets renforçateurs sur certaines croyances, superstitions, pulsions.
Le mordant dans la peau de l’homme d’attaque ou du conducteur de chien permet tout de même l’expression de certaines facettes de la personnalité de l’Homme – qui peut être de sexe masculin ou féminin – qui n’ont rien de bienveillantes et de bien intentionnées, facettes dissimulées aux autres et à soi même derrière des pseudo-arguments de bien-être pour le chien (il comble ses besoins comportementaux) ou des pseudo-arguments de sécurité pour la société (diminution des risques de morsures) qu’il est pourtant extrêmement aisé de contredire avec un peu de recul, de connaissances en comportement canin et de … psychologie en général.
Et pour finir, quid des méthodes employées pour contrôler cette fameuse morsure sur l’Homme que l’on a stimulé et entrainé. Rien que ce sujet peut faire l’objet d’un article à lui seul. A ce jour la punition positive reste le moyen unanimement utilisé pour faire cesser le mordant sportif. Et quand je parle de punition positive je ne parle pas d’un simple Halte! asséné en hurlant, je parle de violentes saccades dans le collier étrangleur quand il se contente d’être étrangleur.
CQFD, en tous cas c’est ce qu’il nous fallait dire.