Cet article est encore un coup de gueule malheureusement car il devient de plus en plus insupportable de lire ou d’entendre des explications sur les comportements qui s’appuient sur des vieilles observations faussées par le contexte, des superstitions ou des principes spécistes ayant en commun de véhiculer une image inexacte de la cognition animale.
Les chiens ne fonctionnent pas que sous la direction d’un cerveau archaïque à peine plus évolué que celui d’une amibe motivé par sa seule survie et de temps en temps par sa reproduction. Il y en a qui ont du rater les cours de SVT où n’ont écouté que la partie sur l’humain parce que non seulement nous, humains, partageons avec tous les êtres vivants un cerveau archaïque mais nous partageons également avec la plupart d’entre eux, dont font partie les mammifères, un cerveau limbique et un cortex orbito-frontal et préfrontal, ces grands modulateurs de l’activité du cerveau limbique lui même modulateur du cerveau archaïque.
Le cerveau archaïque n’a en effet qu’une fonction de survie sur le mode manger, ne pas mourir et se reproduire. C’est dans ce cerveau que vont être mémorisées de façon presque indélébiles les expériences de peur et les expériences de plaisir et ce grâce au cerveau limbique qui communique avec le cerveau archaïque via des neurones, des messagers en quelque sorte.
Très schématiquement mais tellement important à comprendre : Les neurones sont tous des conducteurs d’un courant électrique mais se différencient au niveau de leur connections par leurs récepteurs et émetteurs chimiques propres. les neurones qui véhiculent un message de peur même infime (stress) appartiennent au système noradrénergique. Les neurones qui véhiculent un message de plaisir appartiennent au système dopaminergiques. Comme il faut bien que le message arrête de circuler, il existe des neurones véhiculant un message de satiété (c’est bon on a notre dose !) et de retour au confort (c’est bon le danger est écarté !) en produisant de la sérotonine qui vient inhiber la dopamine ou l’adrénaline. Et pour être sûr que cette régulation fonctionne le cerveau dispose d’un autre système produisant du GABA qui freine la transmission au niveau des synapses histoire que la machine ne s’emballe pas, système désactivé en présence de fortes doses d’adrénaline car dans ce cas de figure l’idée c’est généralement de ne pas perdre de temps.
Les émotions de peur activent le circuit noradrénergique qui va alors exciter les centres de commande des actions de fuite ou d’agression. Les émotions d’extase activent le circuit dopaminergique qui va alors exciter les centres de commande de l’action ayant permis d’obtenir cette extase. Selon la force du ressenti, cela nécessitera une activation au moins équivalente des systèmes d’inhibition et de freinage sinon peur et extase ne s’arrêteraient pas d’aller stimuler les centres concernés. Ce qui revient à dire que système sérotoninergique et GABA doivent absolument être fonctionnels sinon c’est la perte de contrôle interne sur les comportements.
Et le cortex là dedans ?
Déjà il faut savoir que le cortex mature au fur et à mesure à l’inverse des cerveaux archaïques et limbiques qui sont totalement opérationnels depuis la naissance. Il mature en fonction des apprentissages, des retours sur expérience. Selon le résultat de ceux-ci, la valeur du stimulus qui a déclenché la peur ou l’attrait va évoluer (+/-actif, +/-neutre) de même que la technique pour fuir, attaquer ou se procurer ce qui est attrayant (quête d’efficience oblige). Petit à petit des règles de déclenchement et d’interruption plus adaptées vont prendre le relai des règles innées ce qui va se manifester par la création de nouveaux axes neuronaux plus complexes au niveau du cortex faisant intervenir beaucoup plus d’éléments d’évaluation du bien fondé à agir. L’écologie comportementale de tout être vivant consiste toujours à produire la réponse la plus adaptée à l’environnement sans déséquilibrer dramatiquement les équilibres internes. Le développement retardé du cortex est une stratégie de la nature permettant un meilleure adaptation à l’environnement puisque c’est l’environnement réel qui le stimule.
=> Le développement des connexions neuronales au niveau du cortex demandent des expériences et … du temps.
Une autre chose primordiale à savoir c’est que compte tenu de la densité en neurones des différentes zones du cerveau, la taille a finalement assez peu d’importance, c’est plutôt la richesse des connexions qui comptent. Nous humains n’utilisons d’ailleurs qu’un faible pourcentage de nos possibilités. Des études ont démontré que même très endommagé un cerveau était en mesure de recouvrir une grande partie de ses fonctions en n’utilisant que les parties saines dès lors que les connexions étaient stimulées. Ce n’est pas vrai pour toutes les fonctions mais pour celles qui concernent les apprentissages qui modulent les comportements c’est possible grâce à la plasticité et à la production de nouveaux neurones.
=> évaluer l’intelligence par rapport à la taille du cortex revient à ne considérer que le contenant sans se soucier du contenu qui peut être dense et très fonctionnel dans un petit contenant et … totalement dysfonctionnel dans un gros contenant si vous voyez ce que je veux dire.
Conséquences sur la considération que l’on porte à l’animal en général et au chien en particulier
Il n’est pas indispensable de connaître tout ceci dans le détail la plupart du temps sauf si on est tenté de prêter à l’animal en général et au chien en particulier une certaine imbécillité … ou si on y va de ses conseils en éducation, en comportement ou même en sélection (la sélection pouvant modifier un patrimoine génétique déterminant dans les fonctions cognitives), mais …
Dès lors que l’on cherche à interférer dans les apprentissages à proprement parlé et à modifier les habitudes qui en découlent, la moindre des choses est tout de même de se préoccuper un peu des conséquences de l’emploi de certains leviers sur le bien-être et sur le développement des capacités cognitives supérieures.
Ceci dit :
→ Savoir que le cortex a besoin de temps et de stimulations pour se développer permet de s’armer de patience et de veiller à donner des occasions d’apprentissage bénéfique particulièrement aux moments clés mais aussi toute la vie,
→ Savoir que le chien est un être d’émotions tout comme l’humain permet de lui pardonner ses réactions, de les relativiser (grâce à NOTRE cortex) et de le prémunir contre des ressentis extrêmes qui déclenchent des comportements extrêmes obligeant les propriétaires à mettre en place des systèmes de contrôles externes extrêmes pour seconder les systèmes de contrôle internes submergés ou défaillants,
→ Savoir que les commandes émanent de centres profonds excités par des neurones messagers permet de prendre conscience de l’importance du système nerveux central, et donc de l’importance de le nourrir, de le stimuler à bon escient et d’arrêter de le dérègler par la pratique répétitive et intensive d’activités provoquant de fortes libérations d’adrénaline ou de dopamine risquant de dépasser les capacités du système d’inhibition et de freinage, parfois jusqu’à le compromettre (=addiction).
Cela permet d’éviter de faire bien des erreurs.
Mesdames et messieurs les dresseurs de fauves et les dealers de saucisses* réelles ou de substitution, merci d’aller mettre vos connaissances à niveau s’il vous plaît. Vos pratiques servent seulement vos desseins personnels et desservent ceux des propriétaires et des chiens visant l’adaptation et la cohabitation harmonieuse. En effet, si l’approche éthologique dont certains se réclament (ne parlons pas de ceux qui en sont restés à l’ère préhistorique du comportementalisme) permet de mieux comprendre l’origine, les rôles voire l’émergence de certains comportements, nier, négliger ou pire perturber les mécanismes et les motivations d’un cerveau évolué comme celui du chien pose une question de fond : dans quels buts ?
Pourquoi le maintenir dans un fonctionnement aussi simpliste ? pour se substituer à ses raisonnements !
Pourquoi jouer avec des manettes aussi sensibles et puissantes ? pour prendre la direction de ses comportements et de ses ressentis !
Et pourquoi devenir sa réflexion, ses motivations et ses émotions ? pour garantir sa dépendance !
*On me prête de plus en plus des intentions de détracteur des méthodes éducatives aussi bien négatives que positives (notamment clicker-training). Si effectivement je suis foncièrement anti méthodes violentes pour les raisons évoquées plus haut mais aussi parce qu’elles créent une relation de méfiance et catalysent les comportements de fuite et d’agression, je ne suis opposée aux méthodes axées sur la récompense que lorsqu’elles sont exploitées à des fins d’instrumentalisation au prix d’une altération de l’écologie comportementale et d’une perturbation du développement cognitif.
Au 21ème siècle et compte tenu des découvertes récentes, il n’est plus concevable de réduire le chien à un outil, à une marionnette ou à un doudou dénué de droits, de capacités à évaluer, juger et décider de ce qui convient le mieux de faire ou de ne pas faire. Dès lors qu’on n’occasionne pas des modifications de son état émotionnel par des interactions ou un environnement fortement perturbateurs de ses équilibres et qu’on l’encourage à faire appel à toutes ses compétences en matière d’apaisement, de relativisation, on a la bonne surprise de faire la découverte d’un être pacifique et bienveillant incroyablement intelligent.
C’est à leur considération pour l’animal, souvent à l’image de la considération pour l’humain, et à leur compréhension multi-dimensionnelle que les bons accompagnateurs et autres coach de la relation humain/chien se reconnaissent. Cela passe obligatoirement par l’acceptation de la sentience et la reconnaissance de la cognition de nos amis à 4 pattes.