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Le “maître”, ce clicker géant
Isa.valcreuse 30 juillet 2017

causes-bonhomme-clickerchien-a-lunettesArticle pour cynophiles avertis

Dans la continuité de l’article “Le piège de la mono activité” et afin de plaider encore et toujours la cause des chiens, j’aimerais aborder la problématique de l’excitation que génère le “maître” juste par sa présence ou à cause de la nature des activités qu’il offre à son chien.

Cet état émotionnel face à un stimulus prend des proportions extrêmes dans certains cas de figure, notamment quand le “maître” n’entre en interaction avec son chien que dans le cadre d’activités hautement stimulantes. L’extrême excitation appelant l’extrême contrôle, la question du contrôle que l’on demande ou que l’on impose au chien se pose dès lors qu’on génère cette surexcitation.

Problématique liée au clicker-training

 

Vous avez tous entendu parler au moins une fois du clicker ; peut être même l’utilisez vous assidument ou occasionnellement.

Le clicker c’est ce petit boitier muni d’une languette métallique qui produit un “click” quand on l’active. Avant que le chien, ou n’importe quel autre animal soit dit en passant, n’associe ce son avec une source de plaisir rien ne se passe généralement car le “click” est un stimulus neutre, un son parmi tant d’autres dans l’environnement audible.

Dans le cadre du clicker-training, on procède à un conditionnement qui consiste à transformer un stimulus neutre en stimulus actif. On associe pour ce faire le “click” à des récompenses produisant un état de satisfaction. Au fur et à mesure des associations, le son en vient à produire le même état de satisfaction sans que les récompenses n’entrent en jeu => le click devient la récompense à la place des récompenses.

 

conditionnement

 

Cela fonctionne dans tous les cas d’associations entre un stimulus neutre au départ + un stimulus actif et un état de satisfaction.

Evidemment cela fonctionne également dans tous les cas d’associations entre un stimulus neutre au départ + un stimulus actif et un état de souffrance, de peur ou de douleur (exemple maître + collier étrangleur/électrique et coup de sonnette/décharge) mais ce n’est pas l’objet de cet article même si toutes les occasions sont bonnes pour faire comprendre qu’un humain ne doit jamais être associé à la souffrance, à la peur et à la douleur.

Partons de l’illustration en admettant que la nourriture est désormais remplacée par le click. Ajoutons lui le “maître (les guillemets sont là pour donner au mot maître le seul sens possible à mes yeux : celui de professeur).

Au fur et à mesure des associations entre la présence du “maître” et le son “click”, que pensez-vous qu’il se produit ?

Un conditionnement du même ordre que celui qui a transformé le clicker en stimulus actif (inconditionnel sur l’illustration) !

C’est le 1er problème du clicker-training. Certes ce conditionnement présente l’avantage d’impacter la représentation que se fait le chien de son “maître” (il devient source de plaisir par sa seul présence) ce qui est d’un grand intérêt lorsque l’on veut restaurer cette représentation mais il transforme un stimulus neutre au départ – la présence – en stimulus actif à un niveau mettant en jeu des mécanismes particulièrement sensibles et puissants. Est-ce bien ce que l’on cherche à obtenir ?

La réponse se trouve dans cette petite vidéo de 1 minute qui explique ce qu’il se passe dans le cerveau notamment au niveau du noyau accumbens et de l’aire tegmentale ventrale constituant le circuit de la récompense.

 

Plus ce circuit de la récompense est stimulé, plus on en devient dépendant !

 

Cela a été démontré et a permis de mettre en évidence la sensibilité du système dopaminergique* dont le dérèglement est en cause dans les addictions. Les rats ayant servi de cobayes aux expériences sont allés jusqu’à cesser de manger, de dormir et de s’occuper de leurs petits pour ne faire que ce qui leur permettait d’obtenir la sensation de plaisir.

Il faudrait que les adeptes du clicker-trainig en prennent conscience et sachent qu’ils installent sans le savoir une forme de dépendance à la présence du “maître” mais également – et c’est le deuxième problème – à l’interaction avec le “maître” qui est renforcée  par le”click” reçu en récompense de toutes les interactions. Cette dépendance, presqu’éthique de prime abord, est à l’origine d’un état de surexcitation qui va demander un énorme effort de contrôle au chien que certains ne sont tout bonnement pas en mesure de fournir soit qu’ils sont jeunes, soit qu’ils ne trouvent pas avantage à étouffer leur joie (ou inconvénient à l’exprimer) soit enfin qu’ils sont défaillants au niveau de leur système de régulation des humeurs.

*Le système dopaminergique est particulièrement stimulé lors de l’obtention d’une récompense (d’un +) alors que c’est plutôt le système sérotoninergique qui l’est lors de l’obtention d’un état de confort par diminution du stress intérieur (d’un -) et celui de l’ocytocine lors de la construction d’un lien d’attachement. Tous 3 procurent satisfaction et plaisir par des biais différents aussi fondamentaux les uns que les autres. L’éducation au renforcement positif stimule le circuit dopaminergique tandis que l’éducation au renforcement négatif stimule en premier lieu le circuit noradrénergique (douleur/peur) puis compte sur celui de la diminution de la sensation de douleur et de peur (GABA) pour que le chien en tire un apprentissage. C’est ignorer les spécificités des neurotransmetteurs car c’est la dopamine surtout qui contribue aux apprentissages.

Problématique liée à la nature des interactions

 

Tous les “maîtres” ne pratiquent pas le clicker-training mais nombreux sont ceux qui sans le savoir deviennent un stimulus actif de forte valeur selon le même processus de conditionnement exploité dans le clicker-training. Il suffit que la présence du “maître” soit systématiquement associée à un état de plaisir par la libération de dopamine comme c’est le cas avec la nourriture, la pratique d’activités satisfaisants les besoins comportementaux de prédation ou de protection de soi, de son territoire ou de sa famille (effet grisant de la victoire).

liberation-dopamine

 

Cas particulier de la distribution de nourriture devenue précieuse aux yeux de l’animal

 

Il arrive pour des raisons diverses que la nourriture manque à un chien. Parmi ces raisons les plus fréquentes sont la concurrence à l’origine d’une pénurie, la rareté d’accès ou la maladie/une blessure qui vient affecter l’ingestion temporairement.

La maladie est un cas particulier dans ce cas particulier bien qu’elle cause les mêmes conséquences au niveau de la préciosité de la nourriture (augmentation de la valeur du stimulus) que cela se justifie ou non.

La concurrence qui créé la pénurie pousse à l’affrontement pour avoir sa part. Elle peut être précoce dans les portées nombreuses ou plus tardive lorsqu’un chien vient agrandir une famille ayant déjà un chien non partageur ou convaincu lui aussi que la nourriture peut venir à manquer. Il est un autre cas dramatiquement fréquent de mise en place d’une concurrence mais avec le “maître” cette fois, c’est quand le propriétaire retire la gamelle en cours de repas pour enseigner la tolérance à cet acte. Ce geste inutile et dangereux s’apparente à du vol du point de vue du chien. La concurrence augmente la valeur du stimulus à cause de la peur de manquer.

La rareté d’accès elle tient d’avantage au rythme de distribution de nourriture même si la quantité est suffisante. Il est de coutume de nourrir son chien une seule fois par jour alors que ses dépenses énergétiques se produisent en continu dans la journée. La baisse des réserves déclenchent la sensation de faim tandis que la faim créé une sensibilité particulière à tout stimulus associé à la prise alimentaire ou à l’action de chasse. La rareté augmente la valeur du stimulus à cause de la faim qui augmente.

Quelque soit le cas de figure, la nourriture devient symboliquement ou réellement très (trop) précieuse => Le stimulus nourriture augmente en valeur ce qui provoque de la surexcitation en sa présence.

Imaginez donc les conséquences lorsque le “maître” n’interagit avec son chien que lors de la distribution de la nourriture comme c’est le cas dans certains élevages et certains foyers. La surexcitation atteint des sommets ! ce sont d’ailleurs ces sommets qui donnent lieu à une agressivité exacerbée si l’accès à la nourriture (stimulus de valeur +++) est menacé ou retardé.

 

Cas particulier des activités faisant appel au répertoire comportemental de la survie de l’individu (prédation, protection)

 

Lorsque le “maître” devient essentiellement le symbole de la pratique de ces activités hautement “adrénalisantes et dopantes”, le risque est très grand de voir apparaître une addiction à ces activités.

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Il faut connaître les effets de l’adrénaline pour comprendre. Celle-ci est le neuromédiateur de l’excitation (état émotionnel face à un stimulus actif) entre autre. Elle a un effet sur l’organisme tout entier qui se met littéralement au service de la réaction au stimulus.

 

Adrénaline +++ => Dopamine +++ lors de l’atteinte de l’objectif

 

Adrénaline et dopamine constitue un cocktail absolument détonnant ne laissant que peu de place à l’analyse fine et à la pondération des comportements. C’est une question de survie à l’état naturel !

En temps normal, c’est à dire quand ces activités prennent une juste place dans l’emploi du temps quotidien des chiens et s’intercalent au milieu d’activités de bien-être (procurant la sensation de plaisir plutôt par libération de sérotonine ou d’ocytocine) le travail du régulateur de ces pics de dopamine et d’adrénaline – le GABA* –  suffit à faire revenir le chien à la raison (l’emploi du terme raison est voulu car les apprentissages sont compromis lorsque l’excitation est à son paroxysme).

C’est bien moins évident lorsque l’adrénaline atteint des sommets à cause de l’état émotionnel (surexcitation liée à la forte valeur du stimulus ou peur génératrice elle aussi d’une libération d’adrénaline) suivie d’une dopamine qui atteint également des sommets lors de l’atteinte des objectifs (accès à une nourriture précieuse menacée, comportement de prédation menant à sa finalité et/ou sortie victorieuse d’un affrontement).

 

En fait les raisons de la libération de la dopamine s’additionnent :

→ Accès à la nourriture = dopamine,

→ réalisation de chaque étape de la séquence de prédation = dopamine,

→ éloignement d’un danger ou victoire lors d’un affrontement = dopamine,

→ atteinte de l’objectif final de la séquence de prédation = dopamine +++ , un jackpot en quelque sorte, car il y a victoire sur la proie et accès à la nourriture en plus de la réalisation de chaque étape.

 

Et pour cause la dopamine permet la mémorisation des solutions qui fonctionnent, le renforcement des comportements efficients !

*Le système de régulation par le neurotransmetteur GABA fait à l’heure actuelle l’objet de plusieurs études sur son influence notamment dans l’épilepsie, l’autisme, la maladie de Parkinsson et même le trouble bipolaire, des affections qui devraient éveiller notre curiosité de propriétaire tant les manifestations ne sont pas sans rappeler certaines manifestations chez le chien, rangées, pour certaines, par facilité dans un syndrome d’hyper activité/hyper sensibilité. Pour démontrer les effets de ce neurotransmetteur inhibiteur, il a été créé une lignée de rats déficiente en Gaba, lignée ayant manifesté des comportements particulièrement exacerbés. 

 

Les pratiquants du mordant nourrissant des objectifs de compétitions “jouent avec le circuit de la récompense” ce qui leur permet de demander un travail de plus en plus difficile et une combativité de plus en plus élevée. Tous savent très bien qu’il arrive un moment où il est illusoire de compter sur une quelconque rationalité et obéissance sauf en ayant recours à moyens très persuasifs lorsque le chien est en prise et croit jouer sa vie dans la confrontation avec l’homme-assistant. Seules d’intenses douleurs ou craintes de la douleur parviennent à le faire cesser, du même ordre que celles qui parviennent à provoquer un état de sidération (3ème alternative à la fuite ou au combat) en situation de stress extrême.

 

Les adeptes d’autres activités sportives basées sur un comportements en lien avec la prédation ou la protection qu’il s’agisse de comportements de course, de poursuite, de saisie n’ont rien à leur envier en matière de “jeux avec le circuit de la récompense”.

 

Pourtant, nombreux sont les utilisateurs qui nous parlent d’amour pour le travail. Que diraient-ils d’un fumeur ? qu’il aime la cigarette ?

 

Personnellement je ne vois dans la pratique intensive et/ou exclusives de ces activités (mono-activités) que des addictions en devenir ou déjà installées. Ces addictions là sont bien connues pour générer des comportements à risques, des comportements dénaturés et même des TOC sans compter qu’elles compromettent l’expression des autres comportements hédoniques tels que les comportements exploratoires et les comportements sociaux pacifiques.

 

Si on peut concevoir que certaines personnes aient besoin de se rassurer sur leur pouvoir attractif, elles seraient aimables de ne pas instrumentaliser l’animal à ces fins. Le chien  est d’une nature très collaborative et fidèle envers les membres de sa famille ; il n’est nul besoin de l’enchaîner psychologiquement sauf évidemment si on le traite mal par ailleurs.

 

Quel serait le VISAGE idéal du “maître” ?

 

Pour ne pas devenir un clicker géant le “maître” a tout intérêt à ne pas être l’unique pourvoyeur de plaisir et de confort. Il a, au contraire, tout intérêt à partager cette responsabilité avec d’autres humains mais également d’autres animaux, d’autres environnements.

 

Cela suppose d’accepter de ne pas être le centre de l’univers de son animal ce qui risque de poser de sérieux soucis à ceux qui ne se projettent que dans une relation d’exclusivité et de subordination .

 

Il a également tout intérêt à rendre sa présence plutôt neutre, c’est à dire à faire en sorte que cette présence ne produise pas de fortes variations émotionnelles par sa symbolique et ce dès le départ car une fois cette malencontreuse association faite, il deviendra presqu’impossible de la faire disparaître à cause des effets renforçateurs de la récompense aléatoire.

 

Comment ?

Tout simplement en accordant à son chien un peu de liberté de choix dans ses contacts, ses expériences et ses mouvements évidemment mais aussi dans ses comportements tant cela développe les fameux autocontrôles (apprentissage par soi même des inconvénients à se comporter de façon inadaptée à la situation) et permet la stimulation du système interne de régulation. A défaut d’acquisition des autocontrôles ou en cas de défaillance du système de régulation le contrôle devra venir de l’extérieur ce qui condamne le “maître” à y pourvoir.

 

Si la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux est un des impératifs de la bientraitance, l’absence d’effets pervers sur l’équilibre émotionnel devrait être un impératif du véritable respect du bien-être et de la bienveillance dont certains se revendiquent abusivement.

 

Au cours de nos séances d’activités éducatives, nous essayons de faire passer ce message en plus d’essayer de modifier le V.I.S.A.G.E que le “maître” offre à son chien quand il est à l’origine – comme c’est presque toujours le cas – d’une modification de la personnalité de ce dernier et nous utilisons pour cela ce schéma certes un peu caricatural mais très efficace en termes de prises de conscience de ce que produit le relationnel.

2-visages-relation

 

Nous pensons que la qualité de la relation et l’harmonie de la cohabitation dépendent bien plus de ce VISAGE qu’elles ne dépendent de la fréquence et de l’intensité des interactions surtout celles qui transforment le “maître” en stimulus permanent d’activités et le chien en junky du cocktail dopamine/adrénaline.

 

Dans l’immense majorité des cas cela suffira amplement pour que relation et cohabitation tiennent leurs promesses sans avoir besoin d’en passer par la dépendance pour consolider le lien, le dressage pour garantir le contrôle et la récompense conditionnelle pour obtenir l’obéissance.

 

sources principales :

◊ Conditionnement, apprentissage et comportement humain de Céline Clément (p.64 Trouble du déficit de l’attention/hyperactivité sous l’angle bio-comportemental)

◊ Comportement du chien, clinique et thérapeutique du Dr Isabelle Vierra

◊ les 6 neurotransmetteurs du cerveau

◊ Neurobiologie de l’impulsivité, de l’agressivité et de la violence

◊ Cerveau : découverte d’un nouvel acteur dans l’addiction

1 Commentaire

  1. Marie-Josée

    Wow quel bon article j adore bravo, d une personne ne qui essaie de faire comprendre au gens là même chose

    Réponse

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